10       La Victoire... et après

La démobilisation

 

Au mois de novembre 1918, alors que les combats cessent sur le front occidental, les soldats français attendent d'être démobilisés. Usés par les fatigues de la guerre, marqués par les deuils successifs, ces hommes sont sous les drapeaux depuis de nombreuses années. Certains, comme les classes 1912 et 1913, achevaient ou commençaient leur service militaire à l'été 1914. Cela fait donc déjà quatre ou sept ans qu'ils servent leur pays..!

 

Et pourtant, l'annonce de l'armistice ne marque pas la fin des épreuves. Il leur faut encore plusieurs mois, dans leur cas jusqu'à l'été 1919, avant d'être libérés.

 

Au moment de l'armistice, diverses possibilités s'offrent aux autorités pour organiser la démobilisation. Certains envisagent de libérer les soldats par unité: c'est le cas de l'armée américaine. D'autres préfèrent donner la priorité aux besoins économiques de leur pays comme les Britanniques. Les Français et les Italiens choisissent quant à eux une démobilisation à l'ancienneté, fidèles au principe égalitaire auquel les combattants sont attachés. Dans l'imaginaire des soldats, la classe d'âge, celle de la conscription, reste une référence importante.

 

Cet ordre apparent d'une démobilisation à l'ancienneté masque cependant une profonde désorganisation. Il faut bien comprendre en effet qu'à l'exception de quelques unités de l'Infanterie Territoriale, il n'existe plus, à la fin de 1918, de régiments homogènes composés d'hommes du même âge. La démobilisation entraîne donc une constante réorganisation des unités, qu'il faut refondre, parfois pour un ou deux mois seulement, avant qu'une nouvelle classe soit libérée à son tour.

 

Les enjeux d'un tel mouvement d'hommes et de matériel sont essentiels: la reconstruction d'un pays en ruines, sa stabilité politique et sociale, un retour aux normes morales du temps de paix après la violence du temps de guerre, la dissolution du rôle et de l'identité des soldats de la Grande Guerre. De tout celà, le sous-secrétaire d'Etat à la démobilisation, Louis Deschamps, est bien conscient. Il sait aussi que la masse d'hommes concernés, près de cinq millions de soldats, est considérable, largement supérieure aux 3 600 000 hommes mobilisés en 1914.

 

Près de la moitié d'entre eux ont été blessés, un mobilisé sur cinq l'a été 2 fois, plus de 100 000, 3 ou 4 fois. Cependant, on ne peut libérer trop vite des soldats qui constituent un moyen de pression sur l'Allemagne avant la signature de la paix définitive à Versailles, le 28 juin 1919. Et l'organisation de la démobilisation elle-même se heurte à l'encombrement des voies ferrées ou à leur destruction.

 

Par ailleurs, d'autres problèmes se posent: la réintégration de l'Alsace et de la Lorraine, la mise en oeuvre de l'occupation de la Rhénanie, la reconstruction des régions détruites ou occupées pendant le conflit. Globalement, la démobilisation de l'armée française entre l'automne 1918 et le printemps 1920, à un rythme soutenu, représente donc, dans le contexte de l'après-guerre, une sorte de tour de force.

 

Ce constat mérite cependant d'être nuancé, si l'on se place au niveau des soldats, ce que permettent les archives du contrôle postal aux armées. Les futurs démobilisés vivent dans l'inquiétude: celle de retrouver un place, leur place dans un monde civil qui a fonctionné sans eux pendant toute la guerre. Les échos qui parviennent aux soldats démobilisables de leurs camarades démobilisés ne sont pas toujours rassurants. La crainte de l'infidélité des femmes et la fragilité des couples sont fréquemment évoquées.

 

Sur le plan professionnel, les entreprises sont dans l'obligation légale de reprendre leurs anciens employés. Mais il faut envoyer un avis à l'employeur par lettre recommandée dans les quinze jours qui suivent le retour chez soi, ce que beaucoup oublient de faire. Par ailleurs, bien souvent, le patron fait valoir d'un air embarrassé, qu'il lui est impossible de mettre à la porte celui qui a remplacé le soldat mobilisé pendant q4 ans - quand ce n'est pas l'entreprise elle-même qui a fermé au cours de la guerre.

 

Pour les commerçants, le problème est différent: il faut parvenir à reconstituer une clientèle qui a pris d'autres habitudes. Seuls les agriculteurs, à l'exception des zones de combats de toutes les régions du Nord-Est de la France, retrouvent leurs exploitations que leurs familles ont fait fonctionner parfois avec des prisonniers de guerre allemands. Les soldats démobilisables sentent confusément les difficultés qu'ils vont rencontrer, et dans ce climat d'attente inquiète, la sortie de guerre apparaît donc d'abord comme un temps incroyablement long, où se mêlent la frustation, l'impatience et l'ennui."

 

Remerciements à Bruno Cabanes     Maître de conférences d'histoire à l'Université de Limoges et à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris dont les travaux nous ont permis de rédiger cette page

Des morts ... encore

 

Le retour à la discipline militaire, les marches, l'ordre serré sont vécus comme de véritables souffrances.

Les fêtes qui marquent l'entrée des troupes françaises en Alsace et en Lorraine sont perçues comme de justes récompenses pour les sacrifices consentis, mais ensuite, la vie quotidienne en Alsace-Lorraine ou en Rhénanie occupée est monotone et beaucoup de soldats se plaignent dans leurs courriers qu'ils seraient plus utiles auprès de leurs familles. Une fois venue l'heure de la démobilisation, un grand nombre d'étapes ponctue et retarde le retour des hommes et leur utilité n'est pas toujours comprise.

 

Une visite médicale, la mise à jour des papiers militaires, un parcours cahotique jusqu'aux dépôts démobilisateurs sont les principales formalités qui scandent le parcours des anciens combattants - mais aussi, sous une forme à peine simplifiée, celui des prisonniers de guerre. Les anciens combattants sont très attentifs en outre aux conditions de leur démobilisation et aux marques de reconnaissance que leur réservent les civils. L'inconfort des trains de marchandises dans lesquels ils sont rapatriés les ulcère. Le don d'un costume les humilie puisque, par manque de tissu, il s'agit le plus souvent d'un habit militaire, teint pour la circonstance.

 

L'indemnité de démobilisation, 490 francs pour une année dans une unité combattante, ne représente guère plus de 2 mois de subsistance. "Ils ont des droits sur nous" , avait déclaré Clémenceau à propos des anciens combattants. En réalité, si la démobilisation est un succès du point de vue logistique, c'est un échec du point de vue de la reconnaissance nationale - ce qui aura des conséquences lourdes dans les années 1920 et 1930. La situation des 500 000 prisonniers de guerre est plus douloureuse encore. Sur eux pèse le soupçon des conditions de leur capture et de leur collaboration avec l'ennemi. Leur retour n'est pas célébré officiellement et leur souffrance durant la guerre n'est pas reconnue.

 

Ce qui explique sans doute le mieux la fragilité psychologique de beaucoup de soldats démobilisables, c'est le deuil qui pèse sur l'ensemble de la société française, du fait des pertes militaires et de la grippe espagnole. L'ensemble de la société, c'est-à-dire aussi les soldats. On oublie trop souvent que l'armée française en 1918 est une armée en deuil et que la victoire est une victoire endeuillée. Cette douleur de l'absence, qui exclut tant de familles des fêtes de la victoire et les isole de l'atmosphère de liesse, est violemment ressentie par les compagnons d'armes.

 

Les tous premiers gestes accomplis par les combattants français juste après l'armistice sont de repérer les cadavres, ensevelir les morts, planter des croix de bois. C'est ce sentiment de deuil qui nourrit aussi une violente hostilité à l'égard de l'ennemi, encore perceptible dans les correspondances des soldats après le 11 Novembre.

 

Lorsqu'il cherche à écrire cette histoire des traumatismes de guerre, l'historien se trouve confronté à de multiples problèmes, et notamment au manque de sources. La parole des endeuillés est une parole relativement rare, celle des malades psychiques est presque inexistante, tant la société des années 1920 peine à reconnaître officiellement les troubles nés de la guerre. La psychiatrie de guerre en est à ses débuts et les blessures psychologiques n'ont pas le même prestige que les blessures corporelles. Ce sont donc souvent les proches des anciens combattants qui racontent, des années plus tard, les souffrances endurées par les soldats démobilisés. Ainsi, ce témoignage de Louis Althusser "La nuit, très souvent, (mon père) émettait en dormant de terribles hurlements de loup en chasse et aux abois, interminables, d'une violence insoutenable, qui nous jetaient au bas du lit. Ma mère ne parvenait pas à le réveiller de ses cauchemars. ... la nuit devenait terreur et nous vivions sans cesse dans l'appréhension de ses cris de bêtes insoutenables ..."

 

C'est un gigantesque traumatisme qu'a infligé la Guerre aux sociétés belligérantes: l'expérience de l'absurdité de la mort de masse, l'impossibilité de faire son deuil en l'absence des corps, bien souvent détruits et déchiquetés par l'artillerie, ou bien alors introuvables dans le chaos du no man's land, et pour des millions de survivants, un sentiment d'intense culpabilité - comme s'ils vivaient désormais à la place d'un autre, grâce au sacrifice d'une autre vie. De manière certaine, une guerre d'une telle ampleur qu'on l'a appelée la Grande Guerre - et cela dès 1915 - ne pouvait pas se refermer aussi vite.

 

Dans un un général qui fut célèbre avait perçu le bouleversement opéré par le conflit: "Est-ce que la France oubliera vite, si tant est qu'elle l'oublie jamais, 1.500.000 morts, son million de mutilés, les villes détruites de fond en comble ? Est-ce que les mères qui pleurent vont soudain sécher leurs larmes, est-ce que les orphelins vont cesser d'être orphelins, les veuves d'être veuves ? Est-ce que des générations durant, dans toutes les familles de chez nous, on ne se lèguera pas les souvenirs formidables de la plus grande des guerres, semant au coeur des enfants ces germes de haines de nations que rien n'éteint ?... Chacun sait, chacun sent, que cette paix n'est qu'une mauvaise couverture jetée sur des ambitions non satisfaites, des haines plus vivaces que jamais, des colères nationales non éteintes." Gl de Gaulle.

 

Et la mort poursuit son oeuvre, beaucoup de soldats blessés, gazés, mutilés continuent de décéder des conséquences, des suites des atteintes à leur corps. Leur décès est parfois reconnus par les autorités militairement ils bénéficient de la glorieuse appellation "Mort pour la France" et leurs veuves et leurs enfants de cours (souvent chiches), mais n'obtiennent même pas les indemnités qui leurs seraient pourtant dues, vue leur incapacité à exercer une activité professionnelle.

 

 

Pour Trèbes nous ne pouvons pas tous les citer, mais nous en avons repérés quelques-uns que nous souhaitons associer à notre devoir de mémoire. Il s'agit de :

 

Albert FONTANEAU, mort le 3 février 1919

 

Antoine BARRAU, mort le 17 février 1919

 

Justin BARTHÈS, mort le 7 mai 1920

 

André GUILLES, mort le 21 janvier 1921

 

Baptiste AUTHIER, mort le 9 novembre 1923

 

Jean BONNAFOUS, mort le 26 février 1927

 

Louis Paulin BOUSCATIER, mort le 7 juillet 1927

 

Julien Lucien SIÉ, mort le 20 novembre 1931

 

Nous leur consacrerons une notice comme les autres