6.4 - Un 3ème front : le Détroit des Dardanelles

 

19 février 1915 - 9 janvier 1916

 

Dès le déclenchement du conflit, la Turquie, dont l’armée a été réorganisée par l’Allemagne et qui demeure liée au Reich par de forts liens économiques, s’engage dans la guerre avec pour ambition la conquête de territoires russes frontaliers. L'entrée en guerre de la Turquie oblige les Alliés à déployer des unités en Egypte ainsi que dans le Caucase.  En outre, les stratèges britan-niques, par tradition sont d’ardents défen-seurs de l’approche dite indirecte. En effet, face à la guerre de position qui fige la situation à l’ouest, les Britanniques et en particulier Winston CHURCHILL plani-fient une opération dans les Dardanelles. Celle-ci se limite initialement à une attaque navale alors que de nombreux officiers alliés réclament une action amphibie avec des moyens terrestres conséquents.

 

Phase 1 : L’assaut naval

 

L'attaque navale, prévue initialement le 19 février 1915, est retardée pour cause de tempête et ne débute finalement que le 26 février.  Les bombardements sont inefficaces face aux fortins côtiers turcs qui résistent avec des unités organisées et opiniâtres. De la même façon, l’opération de déminage des détroits échoue devant l’armée turque qui établit sans cesse de nouveaux champs de mines. Ces derniers causent ainsi la perte du cuirassé français Bouvet avec ses 600 membres d’équipage et endommagent 6 des 9 navires alliés engagés dans l'opération. Cette attaque incite les Turcs à renforcer leur dispositif dans le secteur des Détroits alors que les Alliés envisagent tardivement une opération terrestre en complément des moyens de la marine. L’effet de surprise a disparu. Aussi, à compter du 25 mars, les Turcs constituent une armée, commandée par le général allemand, afin d'assurer la protection de la région.  Les tergiversations des Alliés laissent à cette force près d’un mois pour compléter les défenses côtières.

Quelques hommes du Corps expéditionnaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Phase 3 : L’échec de la contre-attaque et le désengagement

 

Durant l'été, les Alliés mettent au point un nouveau plan pour relancer la guerre de mouvement dans ce secteur.  Cette planification s’appuie sur le débarquement de nouvelles troupes dans la baie de Suvla afin de bénéficier d'une supériorité numérique locale contre les défenses turques. Une fois la percée effectuée, le général HAMILTON veut couper en deux la presqu'île, large d'à peine 13 kilomètres.

Très bon en théorie, le plan est cependant menacé par l'arrivée, dans le secteur, de renforts turcs. Le débarquement à Suvla est maintenu mais confié à un général britannique âgé et dépourvu d'expérience opérationnelle. Les débar-quements ont lieu durant la nuit du 6 au 7 août 1915 et ne sont suivi, une fois de plus, d'aucune exploitation. Les unités, encore laissés sans instructions, avancent au hasard. Le matériel est déposé sans aucune coordination et sans la moindre estimation des futurs besoins. Lorsque l'attaque alliée se déclenche enfin, le 10 août, les Turcs, qui ont renforcé leurs positions, la repousse. Le vieux général britannnique est alors remplacé par un général français qui lance un assaut frontal contre des hauteurs bien défendues et ce, sans résultats et laissant de nombreux hommes sur le terrain.

Le 15 octobre 1915, le général HAMILTON est limogé.  Le nouveau, sans même avoir à débarquer, analyse la gravité de la situation et préconise l'évacuation. Les Alliés estiment alors que la retraite leur coûtera encore au moins 50.000 hommes.  Dans les faits, l'évacuation (100 000 hommes, 200 canons, 5000 animaux), qui s'étend du 18 décembre 1915 au 8 janvier 1916, demeure la seule action correctement planifiée de cette campagne et ne voit la perte d’aucun soldat allié.

 

Le Bouvet

Phase 2 : Le débarquement

 

Le 20 avril 1915, les Alliés disposent enfin d'une force de 70.000 hommes, britan-niques, australiens, néo-zélandais et français. A l'aube du 25 avril, ce corps expéditionnaire, baptisé ANZAC, renforcé de troupes françaises et commandé par le général britannique HAMILTON, débarque sur 5 petites plages baptisées S, V, W, X et Y, au Cap Helles, à l'extrémité sud de la péninsule de Gallipoli.  Dans le même temps, d'autres troupes débarquent près de Gaba Tepe, à une vingtaine de kilomètres plus au nord. Ce dernier se déroule dans des conditions extrêmement délicates. En effet,  le courant marin déporte les troupes à près de deux kilomètres au nord du lieu prévu et les unités se retrouvent alors regroupées sur une petite plage cernée d'éperons rocheux.  Fort heureusement, l’attaque s'effectue sans résistance car les Turcs avaient jugé un tel lieu de débarquement plus qu'improbable.  Livrés à eux-mêmes, sans liaison avec l’échelon supérieur, des soldats doivent escalader la crête de Chunul-Baïr.  Ils sont alors repoussés par les forces turques aux ordres d’un jeune colonel, Mustapha KEMAL qui contrôle les sommets. 

Pendant ce temps, au Cap Helles,  si 3 plages sont conquises facilement, l’assaut sur les secteurs W et V sont meurtriers. Enfin mis à terre le contingent allié demeure sur les plages et ne cherche pas à exploiter pour conquérir une tête de pont, se conformant ainsi à ses ordres d’attendre des renforts. Cette absence d’exploitation de l’assaut amphibie empêche l’ANZAC de conquérir la hauteur d’Achi-Baba.  

Le 28 avril, les Alliés lancent enfin une offensive qui est repoussée.  A l'instar du front occidental, les positions se figent alors et les tranchées font leur apparition. Jusqu'à la fin mai, plusieurs attaques alliées sont lancées, toujours suivies de violentes contre-attaques turques qui font près de 20.000 victimes sur un total engagé de 70.000 hommes. 


Bilan

Alliés : 147 000 morts (dont 10 000 français, pour la plupart inhumés dans la nécropole de Sedd-Ul-Bahr), 97 000 blessés dont 17 500 français), 145 000 malades du fait des conditions sanitaires déplorables et d’un soutien inefficace.

 

Turcs :154 000 morts et 99 000 blessés

 

On peut constater que malgré une idée ambitieuse d’ouverture d’un second front, les alliés ne mettent pas les moyens nécessaires à la réussite de l’opération que ce soit par la constitution d’une force dotée de moyens terrestres ou par des capacités navales de lutte anti-mines suffisants. Suite à une mauvaise analyse de la situation, du terrain et de l’ennemi, les Britanniques n’engagent que des moyens navals dans un premier temps, perdant ainsi tout effet de surprise et donc leur liberté d’action; l'assaut terrestre intervenant trop tardivement, cela a permis aux Turcs de renforcer leurs positions défensives. Le choix des plages ne prenant aucunement en considération l’état des défenses turques a conduit à des opérations coûteuses en vies humaines.

 

 

 

André MESPLIE, né en 1877 à Trèbes, incorporé au 4ème Régiment d'infanterie coloniale mixte, participe à cette opération. Il décède, tué à l'ennemi, le 12 juillet 1915.